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Musique & astronomie : redécouvrir William Herschel

dimanche 25 août 2019, par Valentin.

William Herschel (1738-1822) a révolutionné l’histoire de l’astronomie et de notre conception de l’Univers — à tel point que sa brillante carrière musicale s’en est trouvée éclipsée. Ceci est une tentative de redécouverte et de réhabilitation de son œuvre de compositeur, notamment à travers quelques partitions que j’ai moi-même ré-éditées.

À l’automne 2018, pour célébrer le 280e anniversaire de William Herschel, j’ai proposé au Palais de la découverte (en l’espèce de son instance patronale Universcience) d’organiser une exposition ainsi qu’un cycle de conférences et de concerts, présentant notamment (pour la première fois en France à ma connaissance) les concertos pour hautbois de Herschel, interprétés par le hautboïste Thierry Gaiffe et entièrement réédités et réorchestrés par mes soins.

Après plusieurs reports, cette initiative fut finalement abandonnée en rase campagne par Universcience ; elle donna cependant lieu, l’année suivante, à un événement public soutenu par la Diagonale Paris-Saclay. Voici le document que je rédigeai à cette occasion pour rendre compte de mes propres recherches sur la vie et l’œuvre de Herschel.

Herschel redécouvert
V. Villenave, 2019 — source OpenDocument

J’en livre ci-dessous une version légérement enrichie au fil de mes lectures subséquentes, notamment lorsque j’eus l’occasion de consacrer à Herschel un épisode hors-série du podcast Le Modèle standard. Les ajouts majeurs figurent en italiques.

 De Hanovre à Bath

William Herschel (1738-1822) voit le jour dans le principat de Hanovre, à une époque où l’Allemagne n’existe pas encore en tant qu’entité. C’est un enfant éveillé et curieux de tout ; ainsi, prenant des leçons de français (ainsi que d’anglais et de latin) avec son grand frère Jacob, il termine le programme entier alors que son frère n’en est encore qu’à la moitié… mais William insiste pour continuer à assister aux leçons afin de grappiller auprès de leur précepteur davantage de connaissances, car ce dernier est fort cultivé en mathématiques et en philosophie.

Devenu très tôt musicien tout comme son père et ses frères, William est engagé dès l’âge de quatorze ans en tant qu’instrumentiste dans l’armée de Hanovre. Cependant lorsque ladite armée entre en guerre contre la France (dans un conflit virulent qui prend vite une envergure mondiale : la Guerre de Sept Ans), son père l’évacue discrètement avec Jacob, en Angleterre – ce qui fera de lui un déserteur aux yeux de sa patrie d’origine.

Débarquant dans ce nouveau pays à l’âge de dix-neuf ans seulement, il entreprend de s’y faire un nom, de par son talent musical indéniable (hautboïste tout comme son père, il pratique également le violon et les claviers) et son pragmatisme qui le conduit d’emplois précaires (donnant des leçons et copiant des partitions, avec une productivité semble-t-il remarquable) à des fonctions plus prestigieuses de musicien soliste et de directeur de concerts. Organisant méthodiquement sa carrière, il se sert de chacun de ces postes comme tremplin pour en briguer ensuite d’autres plus rémunérateurs – non sans, à l’occasion, une certaine roublardise : l’on raconte ainsi que pour remporter le concours de recrutement d’une chaire d’organiste, il place discrètement un poids sur une des touches graves du clavier, produisant une magnifique note tenue qui donne l’impression qu’il joue à trois mains !

Son abondante activité de compositeur s’inscrit également dans cette démarche d’ascension sociale : à chaque nouvelle ville où il s’installe, il ne manque pas de rédiger des sonates, des concertos et des symphonies qu’il interprète avec l’orchestre local. Il tire également parti de circonstances exceptionnelles : ainsi lorsqu’il est nommé organiste titulaire de la toute nouvelle (et très « branchée », pourrait-on dire, à l’époque) Chapelle octogonale de Bath, l’orgue est encore en travaux et ne peut être utilisé pendant un an – qu’à cela ne tienne, William assure lui-même le concert d’inauguration en faisant usage de tous les autres instruments qu’il maîtrise, et présente ainsi au public un programme de ses propres compositions pour violon, pour hautbois et pour clavecin.

Toujours proche de sa famille, il obtient des concerts pour son frère musicien Jacob et fait venir de Hanovre son jeune frère Dietrich ; il hébergera aussi par la suite son autre frère Alexander ainsi que sa sœur Caroline, dont nous reparlerons bientôt.

 Une conversion inattendue

William Herschel est d’un tempérament curieux et opiniâtre. Alors qu’en moins de dix ans sa carrière musicale lui a permis d’atteindre une position confortable et solidement établie dans la société britannique, il estime que son existence manque de nouveaux défis et de stimulation intellectuelle, comme il l’écrit à l’un de ses frères :

What a pity that music is not a hundred times harder than science. I love activities and I need to do something.

(« Quel dommage que la musique ne soit pas cent fois plus difficile que la science ; j’adore m’occuper et j’ai besoin d’accomplir quelque chose. »)

La science, en effet, offre à William le domaine idéal où exercer sa vivacité d’esprit. Il est vrai que son père lui a donné très tôt l’exemple d’un parfait honnête homme du siècle des lumières : musicien autodidacte, homme d’une grande culture non seulement en matière de musique mais aussi de philosophie, de mathématiques et d’astronomie, celui-ci passait de longues soirées à s’entretenir passionnément de tous ces sujets avec ses fils, et à leur faire admirer sous tous les angles l’objet le plus précieux qu’il possédât : un globe terrestre.

Une autre influence déterminante est à chercher dans les lectures d’Herschel. S’étant penché sur le traité d’acoustique (ou plus exactement d’harmonie) du mathématicien Robert Smith (1689-1768), il enchaîne avec le traité d’optique du même auteur ; s’y adjoignent bientôt les traités de William Emerson (trigonométrie, optique et mécanique), les traductions d’Euclide par Robert Simson, et surtout l’Astronomy de James Ferguson, où se trouvent vulgarisés les principes de Newton.

En 1773, la théorie ne lui suffit plus et il fait l’acquisition d’un quadrant de Hadley pour procéder à ses propres observations (il note même la date exacte de cette acquisition : le 19 avril). Quelques semaines plus tard, il achète diverses lentilles et fait construire des tubes sur-mesure… mais ne tarde pas à constater que même les lentilles les plus performantes de l’époque ne lui permettront jamais mieux qu’un grossissement d’environ 40 fois. Là où un autre s’avouerait vaincu, Herschel décide simplement de changer de technique : de la lunette de type Huygens, il passe au télescope à miroir… et se met en devoir d’acquérir, auprès d’un fabricant local, tout l’outillage et le savoir faire nécessaires pour fabriquer désormais lui-même ses propres miroirs.

Avant même la fin de l’année 1773, son premier miroir est prêt, d’une distance focale d’1,7 m. Il enchaîne immédiatement avec d’autres miroirs d’un alliage de cuivre et d’étain, polis à la main ; leur poids atteint bientôt plusieurs centaines de kilogrammes, et leur diamètre s’élèvera jusqu’à 1,26 m. Ces miroirs lui permettront de confectionner dans les années suivantes des télescopes d’une distance focale de 6 mètres, puis 10 et même 12 mètres – des records pour l’époque, à plus forte raison de la part d’un simple musicien ! Ayant opté pour le télescope à miroir plutôt que la lunette réfractive alors largement utilisée, il perfectionne le modèle originellement inventé par Newton en 1668, en lui ôtant son miroir secondaire et en choisissant plutôt d’incliner le miroir principal pour pouvoir regarder directement l’image obtenue. D’après sa sœur, il polira ainsi, dans la période qui débute alors, plus de deux cents miroirs ; cette activité nécessitant d’être accomplie d’une traite, il s’y consacre parfois pendant seize heures d’affilée ! Selon d’autres biographes, Herschel aura fabriqué de son vivant plus de quatre cents télescopes, avant tout destinés à ses propres observations – il en vendra néanmoins une bonne soixantaine à travers l’Europe, pour des montants rondelets.

Le premier grand télescope de Herschel
Réplique du télescope ayant servi à la découverte d’Uranus et de nombreuses comètes (il restera le préféré de Caroline Herschel, elle-même chasseuse de comètes) : longueur 2,1 m, miroir de 15,3 cm.

Sa demeure de Bath, puis ses résidences suivantes, se transforment tout entières en atelier, non sans quelques péripéties (innombrables bris de verre, explosion du fourneau, projections sur les volants en dentelle des manches de chemise, écoulement de métal en fusion sur le sol dallé,…). Sa sœur Caroline et l’un de ses frères, Alexandre, font partie intégrante de ces travaux ; pour les télescopes les plus ambitieux de la décennie 1780-1790, s’y ajouteront des bataillons de menuisiers charpentiers afin de construire les armatures nécessaires, les mécanismes, cordages et poulies d’inclinaison et de rotation, et ainsi de suite. L’un de ces artisans, voyant un jour William manipuler la forge et le tour d’usinage d’une main experte, lui demande quel apprentissage a donc bien pu lui donner une telle dextérité : « le violon », s’entend-il répondre imperturbablement.

La patience et la minutie d’un apprentissage musical sont également un atout pour l’observation :

Observing is in some respects an art which must be learnt. To make a person see with such power is nearly the same as if I were asked to make him play one of Handel’s fugues upon the organ.

(« L’observation est à certains égards un art qu’il faut apprendre. Faire atteindre à quelqu’un une telle acuité visuelle est presque du même niveau que de lui apprendre à jouer une fugue pour orgue d’Händel. »)

 De découvertes en découvertes

L’activité étrange de ce musicien qui, entre deux cours ou répétitions s’emploie à polir des miroirs, et sitôt le concert du soir terminé, rentre chez lui pour se coller devant un télescope, ne manque pas d’éveiller la curiosité, y compris celle des lettrés de Bath, qui invitent Herschel à rejoindre leur société littéraire et philosophique, et à publier ses observations avec ponctualité et rigueur.

En effet, la maison s’étant faite atelier, le jardin est devenu observatoire ; à l’activité de fabrication des miroirs s’ajoutent des nuits entières d’observation du ciel, dûment consignée dans un journal. Là encore, son esprit méthodique fait merveille : loin de se contenter du spectacle fascinant de la voûte céleste, Herschel entreprend d’en dresser un inventaire complet et systématique, la divisant pour cela en secteurs qu’il explore successivement avec précision et exhaustivité. Ayant pleinement intégré les principes de parallaxe et les connaissances de son époque en matière de mécanique orbitale, il procède à une estimation de la distance de ces objets, dont il mesure également le diamètre au moyen d’un micromètre de son invention ; il a l’idée de se servir comme référence pour sa parallaxe non du zénith (comme le veut alors l’usage) mais de certains systèmes binaires remarquablement stables. Du reste, la longévité peu commune de son activité scientifique (ainsi que de sa santé et de ses capacités physiques) lui apportera un atout précieux : en s’appuyant sur le corpus toujours plus nourri de ses observations précédentes, il reviendra sur chaque zone à plusieurs années (voire décennies) d’intervalle, afin de constater d’éventuels changements de position.

Ses découvertes permettent ainsi de compléter la connaissance du système solaire : il découvre ainsi de nouvelles lunes de Saturne, recense les taches solaires, et scrute la surface de la Lune et de Mars afin d’en établir la cartographie (il conçoit à ce titre une méthode, dérivée des travaux de l’astronome Hevelius au siècle précédent, pour calculer la hauteur de leurs reliefs)… mais aussi pour y traquer la trace des civilisations qui, il en est persuadé, les habitent.

Toutefois son intérêt s’étend largement au-delà du système solaire : il est ainsi le premier à décrire et cataloguer les systèmes stellaires à plusieurs étoiles. Il en découvre plus de huit cents, et patientera vingt-cinq ans pour pouvoir confirmer qu’il s’agit bien de corps en orbite, sous une attraction gravitationnelle réciproque – confirmant ainsi que le modèle newtonien ne s’arrête pas aux limites de notre système solaire. Autre découverte fondamentale pour l’astronomie moderne, Herschel dresse un catalogue complet de ce qu’il nomme « nébuleuses » (et qui sont en fait pour certaines des galaxies) ; il en découvre lui-même plus de 2400, et ses travaux déboucheront un siècle plus tard sur le New General Catalogue (NGC) encore en usage aujourd’hui. Il ira même jusqu’à proposer dans un article publié en 1785, « On the Construction of the Heavens », pour la toute première fois, un modèle de notre propre galaxie.

Proposition d’un schéma de notre galaxie par William Herschel

L’influence de William Herschel est déterminante dans le regain d’intérêt que connaîtra l’astronomie à partir de la fin du XVIIIe siècle, et jusqu’à aujourd’hui : avant ses travaux, les objets extérieurs au système solaire n’étaient que très peu étudiés, et plutôt considérés comme une vague toile de fond immuable ; outre une méconnaissance générale des objets non-stellaires, l’observation des constellations n’était pas perçue comme un domaine scientifique à part entière, mais comme un outil purement utilitaire aidant à la navigation en mer. Herschel, au contraire, se voit comme un naturaliste (dans le sillage de Buffon en France, ou des pasteurs-naturalistes britanniques) : la mission qu’il poursuit avec acharnement est de décrire, classer, ordonner. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cet astronome amateur s’intéressait également à la biologie : c’est notamment à lui que l’on doit, au moyen d’un microscope qu’il avait assemblé lui-même, la première description du corail en tant qu’animal et non végétal.

Décomposition de la lumière solaire à travers un prisme : croquis d’Isaac Newton
On note que le prisme est ici disposé la pointe vers le bas ; s’il en avait été inversement, quelques siècles plus tard l’on aurait probablement parlé d’infraviolet et d’ultrarouge !
L’expérience de Newton revue par Herschel, qui y adjoint des thermomètres

Une autre découverte tardive de William Herschel est peut-être sa plus essentielle : un jour de 1800, ayant constaté une sensation de chaleur alors qu’il observait le soleil à travers un filtre de couleur rouge, il se met en devoir de confirmer cette impression en plaçant un thermomètre derrière un prisme afin de mesurer la température de chaque couleur. L’expérience aurait pu s’arrêter là… mais, coup de théâtre : soit pour mesurer la température de l’air ambiant soit (plus probablement) mû par cette curiosité instinctive qui lui est propre, Herschel déplace alors le thermomètre juste au-delà de la zone éclairée par le prisme… et constate à sa grande surprise qu’une chaleur est bien détectée à cet endroit, et qu’il y fait même plus chaud que dans la lumière visible ! Herschel démontre ainsi l’existence d’un rayonnement invisible à l’œil nu qu’il baptise « infrarouge », ouvrant ainsi la voie à un domaine entièrement nouveau de l’observation astronomique. (Deux siècles plus tard, le nom d’Herschel sera donné au télescope spatial à rayons infrarouges mis en orbite en 2009.)

(N.B. Herschel n’est en fait pas l’inventeur du mot « infrarouge ». Dans une série d’articles passionnants publiés de 1800 à 1801 dans le journal philosophique de la Royal Society, il emploie en fait une autre expression, assez joliment trouvée : il parle de rayons « colorifiques » pour désigner la lumière visible, et de rayons « calorifiques » pour qualifier ce que nous nommons aujourd’hui infrarouges. Ce dernier terme apparaîtra en fait en 1867, sous la plume du physicien Edmond Becquerel dans son ouvrage La lumière, ses causes et ses effets. Outre le « spectre infra-rouge », en français et avec un trait d’union, ce dernier utilise toutefois également le terme de calorifique et se réfère volontiers aux travaux de William Herschel et de son fils John.)

 L’étoile de George

Cependant, la découverte la plus marquante pour laquelle son nom restera dans l’histoire à jamais, est intervenue relativement tôt dans son parcours, après quelques années d’observations seulement. Le 13 mars 1781, Herschel observe un objet circulaire et nettement plus lumineux que les astres des constellations Auriga et Gemini qui l’entourent ; pensant avoir découvert une comète, il fait part de sa trouvaille dans l’une de ses publications de l’époque – une curieuse comète toutefois, note-t-il : sans chevelure et se déplaçant exactement sur le plan de l’écliptique. Toujours pragmatique, William choisit de baptiser cette comète « Georgium Sidus » du nom du roi d’Angleterre, George III ; ce geste éminemment flagorneur lui permet ainsi d’obtenir du souverain une copieuse subvention qui financera la construction de ses futurs télescopes. D’autres nations toutefois, à commencer par la France, ne sauraient se résoudre à employer un tel nom ; c’est donc sous le nom de « Herschel » que ce corps céleste sera désigné pendant plusieurs décennies.

En effet, l’intérêt suscité s’étend bientôt à l’Europe entière, et c’est le mathématicien russe Lexell ainsi que le savant français Laplace qui, les premiers, suggéreront qu’il pourrait bien s’agir d’une planète évoluant plus loin que Saturne. Hypothèse quasi-sacrilège pour l’époque : le système solaire, avec ses planètes « classiques », est décrit et connu depuis des temps immémoriaux, et s’est toujours arrêté à Saturne… Mais Herschel vérifie, et confirme – bien plus, il découvre même deux lunes à cette nouvelle planète, que nous connaîtrons finalement plus tard sous le nom d’Uranus. Pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité, les limites du système solaires s’élargissent tout d’un coup ; pour la toute première fois aussi, l’on sait exactement quand, et par qui, une planète a été découverte.

(Un mystère subsiste dans une de ces observations d’Herschel, qui, un soir note autour d’Uranus la « possibilité d’un anneau », comme autour de Saturne. Or l’existence des anneaux d’Uranus, que nous avons notamment évoqués dans un épisode du podcast, bien moins brillants et visibles que ceux de Saturne, ne pourra être confirmée que deux siècles plus tard. Est-il possible qu’Herschel, malgré ses moyens optiques limités, ait pu les apercevoir ? Beaucoup en doutent, même s’il est vrai que le ciel d’Europe était beaucoup plus clair dans les années 1780 que dans les siècles suivants.)

Avant même que sa nature exacte ait été confirmée, cette découverte transforme radicalement l’existence des Herschel. William est désormais reconnu en Angleterre comme un astronome à part entière – et les plus grands spécialistes du royaume doivent bien constater que leurs propres instruments d’observation font piètre figure en comparaison des outils de mesure de ce musicien :

Among opticians and astronomers nothing now is talked but of what they call my Great discoveries. Alas ! this shows how far they are behind, when such trifles as I have seen and done are called great. Let me but get at it again ! I will make telescopes, and see such things…

(« Les physiciens et astronomes ne parlent plus de rien que de ce qu’ils nomment mes Grandes découvertes. Hélas ! Cela ne montre que leur retard, quand les vétilles que j’ai pu voir ou accomplir sont qualifiées de grandes. Je n’ai de cesse de reprendre mon travail, de fabriquer des télescopes et de voir enfin de grandes choses… »)

En 1782, Herschel, qui vient d’être invité à rejoindre la Royal Astronomical Society d’Angleterre, prend une décision audacieuse : il fait officiellement ses adieux à la musique, à la scène et à l’enseignement, et ne se consacre désormais plus qu’à la science. Choix qu’il fait, comme à son habitude, entièrement par lui-même et sans consulter personne, mais qui ne sera pourtant pas sans affecter tout son cercle de famille, à commencer par sa sœur Caroline.

Le télescope du jardin (1782-1783)
Il restera le préféré de William Herschel ; tube de 6,1 mètres, miroir de 47 cm.
Un fragment du grand télescope, conservé à l’observatoire de Greenwich

(La première subvention royale permet aux Herschel de quitter Bath pour s’installer à Datchet, dans une propriété pourvue d’un grand jardin où William fait construire un télescope de 6 mètres. En 1785, il obtient des fonds supplémentaires pour édifier à Slough un télescope deux fois plus grand, dont la construction prendra quatre ans. Immense pour l’époque — il est alors le plus grand au monde, et le restera pendant plus de cinquante ans —, il restera un édifice marquant pour l’Angleterre et pour l’Europe entière, même si les observations en résultant s’avéreront quelque peu insatisfaisantes — Herschel lui-même continuant d’utiliser plus volontiers le précédent.)

Le grand télescope de Herschel (1785-1789)
Tube de 12 mètres, miroir de 1,26m (pesant plus de 500kg).

 Caroline

Caroline Herschel (1750-1848) est la huitième enfant de la famille Herschel à Hanovre, et la seule fille à avoir survécu (exceptée l’aînée Sophia, bien plus âgée et mariée très tôt). Son père, vieillissant et malade, tente de lui transmettre les mêmes connaissances qu’à ses fils, mais contrairement à ces derniers elle se voit quotidiennement attribuer de nombreuses corvées ménagères, ne lui laissant que peu de temps (tout au plus son père l’éduque-t-il en catimini lorsque sa mère est absente). Ayant survécu de justesse à la variole à l’âge de quatre ans, puis au typhus à dix ans, elle se retrouve aveugle d’un œil et ne grandissant pas au-delà d’un mètre trente. N’ayant aucun espoir de la marier, sa mère la réduit pour ainsi dire en esclavage, lui interdisant même de chercher une place de domestique hors du domicile familial.

Ayant eu vent de sa situation, William entreprend de l’aider suite à la mort de leur père en 1772, négociant après auprès de leur mère, il est obligé de venir lui-même à Hanovre pour arracher sa sœur à son triste sort, sous le prétexte qu’il lui obtenir un poste de chanteuse en Angleterre. Après un retour semé d’embûches (leur bateau manque de faire naufrage), elle s’installe à Bath et y reçoit de son frère une éducation musicale et scientifique d’une rapidité foudroyante, qui lui ouvre même une brillante carrière de soprano lyrique.

Voyant son frère écumer les magasins de lentilles optiques, et l’entendant chaque matin au petit-déjeuner rendre compte de ses observations du ciel pendant la nuit, elle se voit à son tour gagnée par la passion des sciences, ici teintée d’un profond dévouement envers son frère. Elle décide alors d’apprendre les mathématiques (mais, dit-elle, sans jamais apprendre davantage que le strict nécessaire pour aider aux travaux de William) ; c’est toutefois d’abord une aide matérielle qu’elle lui apporte, copiant de la musique pour lui, subvenant à ses besoins lorsqu’il est occupé pendant des journées entières à polir des miroirs ou pendant des nuits entières l’œil collé au télescope : elle explique ainsi être obligée de lui donner à manger à la cuillère, sans quoi il oublierait tout simplement de s’alimenter jusqu’à mettre sa vie en danger…

Bientôt pleinement impliquée dans les travaux de la maisonnée, elle participe également à la fabrication des télescopes, ce qui la place aux premières loges des épisodes les plus périlleux liés à la forge et au métal en fusion, ou encore lorsque par une nuit de grand vent elle tombe de la plateforme du télescope de six mètres, et s’empale la jambe sur un croc de boucher (à son frère qui réclame insouciamment son aide en haut du télescope, elle ne peut que répondre piteusement « je suis suspendue ! »… et s’en tirera avec une blessure qui faillit la faire amputer).

À cette aide s’ajoute au fil des ans un rôle plus essentiel encore : c’est à elle que William dicte, nuit après nuit (et nonobstant le froid qui parfois gèle son encrier), toutes ses mesures et relevés ; c’est elle qui se charge aussi d’exclure les éventuels doublons, d’effectuer les recoupements avec les catalogues déjà existants, et enfin, de faire tous les calculs de parallaxe et de trajectoires. (Ayant eu à corriger des catalogues astronomiques truffés d’erreurs, c’est elle qui entreprend d’en rédiger un entièrement nouveau, lequel deviendra plus tard le NGC.)

Caroline n’est toutefois pas exclue des observations : dès 1782 elle commence à tenir son propre journal. En six mois à peine viennent ses propres découvertes : d’abord une nébuleuse, puis, surtout, huit nouvelles comètes qu’elle découvre au fil des ans grâce à des télescopes fabriqués par William spécialement pour elle. Si elle obéit toujours, très clairement, aux ordres de son frère (poursuivant le processus d’exploration systématique qu’il a initié, et s’interrompant dans ses travaux à chaque fois que celui-ci lui demande de prendre en dictée ses relevés), elle parvient tout de même à publier elle-même ses propres découvertes ; à partir de 1787, elle exige même — et obtient — une subvention d’État en son nom – non seulement le premier salaire qu’elle ait jamais eu, mais le premier salaire jamais accordé à une femme scientifique (même si ledit salaire demeure quatre fois inférieur à celui de son frère).

Ce bilan met à mal la lecture contemporaine que d’aucuns ont pu tenter de faire de la vie de Caroline Herschel, femme soumise durant toute son existence : d’abord à sa mère, puis à son frère, avec qui elle aurait eu un lien malsain et auquel elle aurait sacrifié sa très prometteuse carrière lyrique. C’est là méconnaître la personnalité de cette femme, qui n’en manquait d’ailleurs pas comme en témoignent ses mémoires, où elle ne manque pas une occasion d’évoquer ses mécontentements, les reproches qu’elle n’hésitait pas à adresser à son frère, et ses efforts réels pour revendiquer un minimum de reconnaissance personnelle et d’émancipation. Enfin, c’est également elle qui pendant plusieurs décennies prendra en charge l’éducation scientifique du jeune John Herschel, fils unique de William, chez qui l’on retrouvera d’ailleurs cette curiosité de touche-à-tout (tout comme chez son proche ami Charles Babbage) : astronome, mathématicien, chimiste, biologiste, il sera notamment l’inspirateur de Charles Darwin…

(…mais pas seulement : John Herschel est ainsi l’un des pères fondateurs de la photographie, et ses recherches inspirent directement Daguerre avec qui il est en contact. On lui doit non seulement l’invention du cyanotype, mais également la toute première photographie prise avec un négatif, qui n’est autre qu’un cliché de l’armature du grand télescope de son père, pris juste avant son démantèlement en 1839.

Photographie du grand télescope par John Herschel, 1839
Le tout premier cliché pris au moyen d’un négatif (on note qu’il s’agit d’un sujet immobile, adéquat aux très longs temps d’exposition alors nécessaires).

Personnage complexe et lui-même grand savant, John semble avoir peiné à se détacher de l’influence de son père, dont il diverge pourtant en plus d’un point : anti-royaliste fort intéressé par la Révolution française — alors que son père était entièrement dépendant du bon vouloir royal, athée — là où William avait consacré sa vie à rechercher les rouages d’un univers d’inspiration divine —, passionné par toutes sortes de sujets, au premier chef desquels la biologie, il fut constamment ramené vers l’astronomie par la promesse faite à son père de continuer le Catalogue Général, futur NGC, après sa mort.)

Fragment d’une lettre de William à John
Cette lettre touchante évoque leurs divergences en matières religieuse et philosophique.

Au terme d’une vie remarquablement longue, Caroline Herschel sera l’une des premières femmes reconnues par la Royal Astronomical Society, mais aussi par ses équivalentes en Irlande et en Prusse. Elle continue à publier et à prendre la parole jusqu’à ses derniers jours ; il se raconte ainsi que pour son 97e anniversaire, elle s’emploiera pendant deux heures à divertir la famille royale, leur chantant notamment des œuvres de son frère William…

 Un héritage musical à redécouvrir

(Voir également l’épisode hors-série du podcast Le Modèle standard, avec notre invité Richard Siegel, claveciniste.)

Osons le dire : s’il n’avait pas été un astronome brillant, le nom de William Herschel aurait très certainement été oublié de tous aujourd’hui (cela étant particulièrement valable pour le public français, remarquable comme toujours de par sa totale ignorance du patrimoine musical britannique). Ce constat est indéniable ; il n’en est pas pour autant inexplicable, ni même irrémédiable.

Tout d’abord, Herschel fait partie d’une génération entière qui est aujourd’hui largement méconnue : de même que le clavecin s’est vu supplanté par le piano, l’époque charnière que constitue le milieu du XVIIIe siècle a fait les frais des décennies qui l’ont suivie, dont le patrimoine musical a été diffusé plus largement (dans des salles de concert plus grandes, sur des partitions imprimées à plus fort tirage, puis avec l’avènement de la musique enregistrée). Sur la figure de Mozart (érigé en parangon de la musique dite « classique », voire de la musique savante tout court) s’est fixé le star-system, phagocytant dans l’imaginaire collectif le reste du XVIIIe siècle. (Au moins l’Angleterre a-t-elle conservé un souvenir un peu plus équilibré grâce à sa rock-star nationale Händel.) Le retour en vogue du baroque à la fin du xxe siècle a certes provoqué un regain d’intérêt, sans finalement n’avoir guère qu’ajouté une idolâtrie à une autre : en plus du nom de Mozart, on connaît celui de Bach… mais pas grand-chose entre les deux. Difficile d’imaginer aujourd’hui que, pendant des décennies, le nom de Bach fut davantage associé à Jean-Chrétien qu’à son père Jean-Sébastien !

Ambigu de par son époque, William Herschel l’est aussi de par son origine géographique : tout comme J.C. Bach ou Händel avant lui et Haydn après lui, il fait partie de ces compositeurs dont l’inspiration originellement germanique a été infléchie par le style britannique – et pour ne rien arranger, le tout dans une époque où l’influence italienne du style dit « galant » contamine l’Europe entière.

Du reste, lui-même n’a fait éditer de son vivant qu’un mince recueil de sonates en trio ; soit car il entendait protéger jalousement le répertoire qu’il serait seul à jouer et qui le ferait reconnaître en tant qu’interprète virtuose… soit plus probablement parce qu’il ne faisait pas grand cas de sa propre musique. Il a ainsi perdu de nombreuses partitions par simple négligence, notamment lors de son déménagement de Bath : alors qu’il avait laissé des manuscrits chez un copiste, sa sœur rédigea une lettre pour en demander la restitution… mais William ne trouva jamais le temps de la poster.

Enfin, la famille Herschel n’a guère aidé à ce que se diffuse l’héritage de son illustre ancêtre. Rassemblées par John Herschel à la fin de sa vie, les partitions de William Herschel ont bizarrement été tenues secrètes (ou simplement oubliées) jusqu’au milieu du XXe siècle, où elles furent léguées à des bibliothèques académiques. Parmi ces dernières, certaines se sont montrées à la hauteur de l’enjeu : l’université d’Edinburgh a ainsi numérisé et publié les manuscrits d’une large partie de son répertoire pour orgue (d’inspiration très Händelienne). D’autres, cependant, ne semblent guère s’être mises en devoir de les rendre accessibles au reste du monde – tout au plus, dans quelques cas, une poignée de musiciens ou « musicologues », admis à en prendre connaissance en exclusivité, se sont empressés à leur tour de faire courir un nouveau copyright dessus.

Quel qu’ait pu être son désintérêt pour sa propre œuvre, il semble avoir rencontré un succès réel. En tant qu’exécutant au premier chef : pas un des commentateurs de l’époque ne manque de louer son talent poly-instrumental ; le célèbre critique musical Charles Burney lui consacrera même un panégyrique en vers.

(N.B. Il est vrai que Burney lui-même s’intéressait à l’astronomie, et c’est dans le cadre de sa « Poetical History of Astronomy » qu’il chante les louanges de Herschel — ce texte a malheureusement été perdu. Mais il connaissait, et respectait, également ses talents de musicien.)

Quant à son catalogue abondant, rédigé sur un laps de temps remarquablement compact (six ou sept ans seulement de composition intensive), il comprend

  • une bonne centaine de pièces pour clavier (principalement l’orgue),
  • vingt-quatre symphonies dont six pour grand orchestre (une nouveauté pour l’époque),
  • une quinzaine de concertos,
  • des pièces pour violon seul,
  • de la musique de chambre,
  • du répertoire pédagogique,
  • ainsi qu’une certaine quantité d’œuvres religieuses.

Si ses partitions les plus élaborées n’ont guère été rejouées faute d’éditeur, ses chansons populaires (des catch, c’est-à-dire des rondes en canon) semblent avoir été fredonnées par le grand public longtemps après qu’il lui a fait ses adieux. (Ainsi par exemple de l’« Eccho Catch », cité dans notre podcast et auquel a été consacré un article… malheureusement là encore dans une revue d’astronomie.)

Fragment de manuscrit de Herschel
Menuet concertant pour hautbois et orchestre

Son répertoire, pour le peu que nous ayons pu en consulter, s’avère de facture plus que correcte nonobstant quelques maladresses ou longueurs occasionnelles (ce qui est également vrai des grands maîtres de l’époque, à commencer par Händel ou Vivaldi). Plus encore que chez les autres auteurs de sa génération, le style n’est toutefois pas entièrement assuré, oscillant étonnamment entre un goût issu en ligne directe du baroque germanique et une écriture plus moderne – et hélas plus superficielle – de style galant, portant clairement l’influence de l’Italie. L’écriture harmonique est bien maîtrisée, souvent purement utilitaire mais n’excluant pas quelques expériences formelles ; c’est surtout dans les formules mélodiques que l’on distingue souvent des traits de finesse ou d’humour. Cette œuvre porte donc non seulement la marque d’une époque (du baroque tardif d’un Telemann ou Händel au style pré-classique d’un J.C. Bach voire d’un Haydn), mais aussi d’une personnalité prononcée : énergique, souvent inspirée, parfois astucieuse, fréquemment éparse, rarement discrète… et en tout cas, jamais insipide.

 Les concertos pour hautbois de Herschel

Conservées à l’université de Berkeley depuis 1958, ces pièces ont été redécouvertes à partir de 1996 et ont donné lieu en 1998 à une publication de la American Philosophical Society. Les deux premiers de ces concertos faisaient partie d’une collection dans laquelle Herschel lui-même avait rassemblé huit de ces concertos pour des instruments divers ; les deux autres ont été trouvés séparément, ainsi qu’un mouvement individuel.

Concerto pour hautbois n°1 en Mi bémol majeur
Allegro ; Adagio ; A tempo primo.

Cette partition est datée de 1759 et mentionne Londres ; elle correspond donc à la toute première période britannique du jeune William, âgé d’une vingtaine d’années. La tonalité de Mi bémol majeur, d’emploi relativement complexe à cet époque, témoigne d’une certaine recherche harmonique. Les contrastes très prononcés évoquent le second baroque et notamment l’écriture concertante de Händel, qui d’ailleurs meurt précisément cette année-là ; d’ailleurs dans cette partition comme dans les suivantes, l’alternance de l’orchestre entre tutti et soli évoque également le concerto grosso à la mode quelques décennies plus tôt.

D’effectif modeste (réalisée uniquement pour cordes et basse continue, comme souvent encore à l’époque), l’écriture orchestrale n’en témoigne pas moins d’une ambition à « grand spectacle » : les traits sont souvent virtuoses et les contrastes extrêmement prononcés, faisant brutalement place à des phrases très expressives ou à des modulations et chromatismes inattendus. L’emploi d’harmonies sophistiquées pour l’époque (accords dissonnants, notamment de septième diminuée, sans préparation) trahit une grande familiarité avec les auteurs germaniques (à commencer par C.P.E. Bach). La partition arbore par ailleurs une quantité remarquable d’annotations expressives : nuances, liaisons, signes d’articulation.

Enfin, ce qui frappe est le souci de concision et de cohérence formelle qui gouverne l’écriture : le second mouvement, dont la briéveté n’égale que l’expressivité, s’enchaîne très naturellement avec le troisième ; quant à ce dernier, il est en fait un « remix » des deux précédents, réutilisant exactement le même matériau thématique de façon réorganisée mais s’enchaînant de façon convaincante, avec parfois un éclairage très différent – les accents douloureux du deuxième mouvement devenant un motif motorique presque martial. Malgré la jeunesse de son auteur, cette partition témoigne d’un degré de maîtrise avancé et d’une inventivité incontestable, mais aussi d’un caractère exigeant qui ne saurait se satisfaire d’aligner simplement des procédés déjà connus et éculés.

Concerto pour hautbois n°2 en Ut majeur
Maestoso ; Adagio ; Allegretto.

Orchestrée pour cordes, basson et deux cors naturels, cette partition ne porte pas de date mais pourrait avoir été rédigée entre 1760 et 1761, alors que le jeune William Herschel occupait son premier poste en dirigeant l’harmonie militaire de Durham. Écrite en tout cas seulement quelques années après la précédente, cette pièce témoigne d’une impressionnante évolution stylistique, peut-être à mettre au compte de l’air du temps en Angleterre, fortement marqué par le style « galant » et le pré-classicisme (ce n’est pas pour rien que Jean-Chrétien Bach, le plus jeune des fils de Jean-Sébastien et d’une génération d’écart avec Carl Philipp Emanuel, est alors résident londonien). On peut même y entendre une préfiguration de l’écriture concertante du futur Mozart.

Plus gracieuse, plus spontanée, cette écriture subit toutefois aussi la simplification post-baroque et perd de ce fait certaines des recherches de l’époque précédente, notamment d’un point de vue harmonique : les trois mouvements, tous dans la même tonalité (de Do majeur), s’articulent presque exclusivement autour des accords de dominante et de tonique. Il n’est pas interdit d’y voir l’aspiration à une écriture plus populaire, et en plus grande adéquation avec les goûts du grand public de l’époque – comme semble en attester non seulement la ritournelle du troisième mouvement en rondo, manifestement destinée à être retenue de tout l’auditoire… mais aussi l’écriture spectaculaire de la partie soliste, remplie de traits extrêmement brillants.

(L’on peut également se référer, pour ce concerto, à la dissertation d’un étudiant de l’université du Nevada.)

Concerto pour hautbois n°3 en Ut majeur
Maestoso ; Adagio ; Allegro

Retrouvée parmi des manuscrits épars, cette partition n’est pas plus datée que la précédente (et pourrait d’ailleurs avoir été rédigée auparavant) ; seules les parties instrumentales séparées en ont été retrouvées.

D’une écriture quelque peu décousue et parfois presque opératique, ce concerto frappe par la longueur de son premier et de son dernier mouvement, à recommander aux exécutants les plus chevronnés et endurants. On y retrouve des structures en dialogues entre groupes et nuances contrastées ; la partie soliste, tout comme dans les deux autres mouvements, se distingue par l’emploi de nombreux sauts intervalliques larges (pouvant aller de la dixième à la treizième). L’effectif orchestral est le même que dans la partition précédente, et se distingue notamment par l’écriture parfois étonnamment fournie des deux parties de cors naturels. On trouve par ailleurs de nombreux passages solo parmi les cordes (y compris au-delà du premier violon), conversant volontiers avec le hautbois solo. Le second mouvement en Ut mineur, une passacaille très expressive, fournit probablement les pages les plus intéressantes de tout ce concerto.

Mouvement de concerto pour hautbois

Cette partition individuelle, également en Ut majeur comme les deux concertos précédents, se présente comme un menuet varié, construit autour d’un thème dépouillé et de style ouvertement pré-classique, tel qu’on en pourrait trouver chez Haydn ou chez Leopold Mozart, de forme binaire avec modulation à la dominante ; dans l’hypothèse (probable) où cette partition date du début des années 1760, William Herschel s’inscrit ainsi dans les tout dernières évolutions stylistiques. Ce menuet est écrit en Ut majeur comme le concerto précédent, ce qui ouvre la voie à diverses suppositions : pourrait-il s’agir, par exemple, d’une esquisse finalement abandonnée pour l’un des mouvements de ce concerto ? Je souhaite, pour ma part, présenter une autre hypothèse. Tout d’abord, il semble manifeste que ce mouvement a été rédigé avec le concerto précédent ; il suffit pour s’en convaincre de comparer la mélodie du menuet avec celle du premier mouvement : toutes deux commencent par un pentacorde majeur ascendant, sur un rythme iambique. Ce n’est pas tout : la section centrale de ce menuet, écrite dans le ton homonyme d’Ut mineur, lui confère de ce fait un parcours tonal identique à celui des trois mouvements dudit concerto. Pour autant, il ne sonne ni avec la majesté d’un premier mouvement, ni la langueur d’un deuxième mouvement, ni le brillant d’un troisième mouvement ; la notion selon laquelle il aurait été originellement destiné à être l’un de ces trois mouvements ne me semble donc pas suffisamment étayée, sinon franchement douteuse.

Et si, tout bonnement, l’on avait ici affaire à un concerto en quatre mouvements ? Le procédé est peu courant à l’époque baroque (il faudra attendre le second romantisme allemand et français, au milieu du siècle suivant) ; et pourtant l’on en trouve quelques exemples dans la première moitié du XVIIIe siècle, à commencer par les concertos dits « da chiesa » de Telemann, Händel, Johann Friedrich Fasch, William Boyce, Robert Valentine, Alessandro Scarlatti et une myriade d’épigones d’Italie du Nord. Ce n’est toutefois pas de cette forme-là qu’il s’agit ici, puisque Herschel ouvre son concerto sur un Allegro maestoso propre au style classique plutôt que sur le mouvement lent du « da chiesa ».

Le menuet serait donc intégré en troisième position juste avant le final, comme dans une symphonie de Haydn (celles d’Herschel lui-même étant plutôt en trois mouvements). En matière de concerto, on aurait donc ici affaire à un objet rarissime sinon inédit vers 1760 ; on en trouvera un autre cas dix ans plus tard chez le viennois Johann Albrechtsberger, l’un des futurs professeurs de Beethoven, dans l’un de ses très amusants concertos… pour guimbarde. Une telle innovation formelle pourrait contribuer à expliquer l’envergure inhabituelle du reste du concerto ; elle ferait également de Herschel un esprit libre doublé d’un précurseur audacieux… mais, de fait, la chose ne semble pas inconcevable.

Notes sur la présente édition

La partition utilisée pour ce projet a donc été élaborée entièrement par mes soins d’après les sources. Éditée au moyen du logiciel libre de gravure musicale GNU LilyPond, elle est mise à disposition (sur le Web et ailleurs) accompagnée de son code source, ce qui permet d’y ajouter des corrections ou d’en faire des adaptations à volonté, mais aussi d’en tirer parti dans un cadre pédagogique : transcriptions, dictées à parties manquantes, etc. En un mot, ce patrimoine appartient désormais à tout le monde, et je ne puis que souhaiter que d’autres œuvrent à l’avenir dans une même direction au service du bien commun.

Ayant commencé par réaliser une édition Urtext absolument conforme et soigneusement documentée (notamment lorsque je fus amené à devoir corriger des erreurs de copie manifestes dans les sources historiques), je développai un système de surcouches (overlay) pour pouvoir proposer une édition légèrement modernisée (en particulier en termes d’articulations et de nuances) et des suggestions de réorchestration, au prix d’un anachronisme relativement léger : l’orchestre que je fais ici sonner est celui qu’Herschel aurait pu entendre quelques décennies plus tard, chez Mozart ou chez le jeune Beethoven (et nous savons qu’avant de se détourner définitivement de la musique, il s’était tenu remarquablement au fait des toutes dernières tendances en matière d’esthétique musicale). C’est également celui qu’il aurait pu utiliser lui-même s’il avait eu ultérieurement à sa disposition, en tant que musicien soliste, des instruments plus fiables et plus sonores.

La seule exception que j’ai admise ici consiste à écrire la partie de cor pour des instruments à pistons (qui ne seraient mis au point qu’un demi-siècle plus tard). Pour le reste, j’ai fait appel à ma propre familiarité avec le répertoire de cette époque, et en particulier à mon expérience d’accompagnateur continuiste (puisqu’il me semble manifeste que, même dans les partitions dépourvues de chiffrage, Herschel écrivait pour basse continue).

Sans vouloir aller jusqu’à la démarche de Stravinsky revisitant Pergolèse ou de Grieg réécrivant les sonates pour piano de Mozart, il me semblait important d’aborder cette réorchestration comme un vrai travail de composition, et de revendiquer l’aspect personnel, voire dans certains cas l’originalité ou la part de risque, de mes propres choix, là où un « musicologue » se réfugierait peut-être derrière une neutralité du reste purement illusoire. Le pire service que j’aurais pu rendre à William Herschel aurait été de le rendre insipide.

Ce projet n’est donc ni un travail de recherche, ni une œuvre d’érudition, ni une entreprise de reconstitution historique (même si tous ces aspects entrent en jeu d’une façon ou d’une autre). L’enjeu est tout simplement de redonner vie à une musique oubliée, avec notre sensibilité actuelle et sans sacralisation.

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